Les licteurs rapportent à Brutus les corps de ses fils de Jacques-Louis David

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Jacques-Louis David est né à Paris le 30 août 1748 dans une famille de commerçants parisiens. Son père meurt dans un duel en 1757. L’enfant est alors pris en charge par ses oncles qui remarquent ses dispositions pour le dessin et l’inscrivent à l’Académie de Saint-Luc. En 1764, sa famille prend contact avec François Boucher, premier peintre du roi. Boucher, qui était un cousin éloigné de la mère de David, a alors 61 ans et il est malade. Il confie le jeune David à Joseph-Marie Vien, peintre passionné par l’art antique et précurseur du néo-classicisme français. En 1771, David obtient le second Prix de Rome. Il tentera à nouveau d’obtenir le premier Prix de Rome les années suivantes, mais ce n’est qu’à la quatrième tentative en 1774 qu’il réussit. Ce prix lui permet de séjourner à Rome pendant quatre ans aux frais du Roi. David accompagne à Rome son maître Joseph-Marie Vien nommé directeur de l’Académie de France dans cette ville. Le séjour à Rome est riche en découvertes picturales et architecturales qui le confortent dans sa vocation néo-classique. Il revient à Paris en 1780. David obtient son agrément à l’Académie en 1781. En 1782, âgé de 34 ans,  David épouse Marguerite Charlotte Pécoul, qui a alors dix-sept ans. Son beau-père, Charles-Pierre Pécoul, entrepreneur des bâtiments du Roi, dota généreusement sa fille, permettant ainsi à David d’installer son atelier au Louvre. Quatre enfants naîtront de cette union. Pendant la Terreur, Marguerite, effrayée par la violence des convictions révolutionnaires de son époux, obtiendra le divorce. Mais la réconciliation intervient après la chute de Robespierre et ils se remarient en 1796. David perfectionne son style néo-classique avec une thématique très patriotique et moralisatrice (le thème des serments est omniprésent). A la fin de la royauté, il est un peintre reconnu et très apprécié de l’aristocratie. La période révolutionnaire va l’enthousiasmer car il rêve de transplanter en France les institutions démocratiques de la Grèce antique ou de la République romaine. Il s’engage en politique aux côtés des plus extrémistes (le parti de la Montagne de Robespierre), est élu député et vote la mort du Roi en 1793. Son œuvre s’enrichit de portraits et de scènes de l’actualité politique. Il entreprend un vaste tableau représentant le serment de jeu de paume (20 juin 1789), mais le projet est abandonné. A la chute de Robespierre (27 juillet 1794), David est emprisonné et échappe de peu à la guillotine. David est clairement l’homme des enthousiasmes politiques. Très vite séduit par Bonaparte lorsque celui-ci devient célèbre, il réalise des tableaux de propagande pour sa nouvelle idole. Bien entendu, son grand talent lui permettra de devenir rapidement le peintre officiel de l’Empire. Le tableau consacré au sacre de Napoléon couronne l’œuvre de David au service de l’empereur. Après la chute de Napoléon, David est proscrit de France par une loi de 1816 : il est en effet considéré comme « régicide » puisqu’il a voté la mort de Louis XVI. Il part pour Bruxelles et continue à peindre essentiellement des tableaux mythologiques. David meurt à Bruxelles le 29 décembre 1825. Il est inhumé dans cette ville.

Le tableau que nous allons étudier est Les licteurs rapportent à Brutus les corps de ses fils, un tableau peint par David en 1789 et aujourd’hui exposé au musée du Louvre à Paris. Ce tableau était le second tableau présenté au salon par David et était à l’origine une commande royale pour le salon de 1787 qui n’a pas été livré à temps. Ce tableau présente un sujet de l’histoire romaine mettant en avant les valeurs de patriotisme cher à David, mais qui a déclenché d’emblée des polémiques.

En quoi ce tableau présente-t-il un dilemme entre amour familiale et amour patriotique et en quoi pouvons-nous le rapprocher au contexte de son époque ?

Nous allons tout d’abord décrire et présenter ce tableau dans les moindres détails, ensuite nous ferons l’analyse plastique du tableau, et pour finir, nous parlerons du contexte historique du tableau et on fera le lien entre le tableau et son époque.

I)-Une histoire de Rome sur le patriotisme

A)Description

Dans cette œuvre, nous pouvons séparer trois zones distinctes grâce à trois plans. Le premier plan met en scène un homme en toge romaine : Brutus. Celui-ci est appuyé sur le socle de la statue de Rome. Il tient dans sa main le parchemin où les noms de ses fils sont inscrits ; Les noms des conspirateurs de la république. Le deuxième plan met en lumière la mère des fils de Brutus et d’autres femmes qui semblent dévastées par la mort de Titus et Tibérus (les fils de Brutus). Une femme croule sous le désespoir, seulement retenue par la mère des défunts ; Celle-ci tend un bras vers ses fils, un geste émouvant attirant le regard du spectateur vers les corps inertes de Titus et Tibérus. Une femme se cache même sous sa toge, expriment son désarroi et son deuil. La dernière femme du trio centrale obstrue avec ses mains la vue des corps sans vie. Une table drapée d’une nappe rouge à franges et quelques sièges. L’arrière-plan représente les corps inertes des fils de Brutus. Le corps porte des sandales. La lumière éclaire les jambes livides de l’enfant de Brutus.

B) iconographie : l’histoire de Lucius Junius Brutus

Cette scène représente un moment de l’histoire des débuts de la république romaine, on nous narre ici l’histoire de Lucius Junius Brutus, le fondateur légendaire de la République romaine et un des deux premiers consuls romains pour l’année 509 av. J.-C. (rappelons tout de même que l’historicité des débuts de l’histoire de la Rome antique sont assez douteux). Il est le neveu du roi tyrannique Tarquin le Superbe par sa mère Tarquinia (la sœur de Tarquin le Superbe). Il participe à la révolution contre celui-ci après le viol par l’un des fils de Tarquin le Superbe de Lucrèce, une romaine vertueuse, et le suicide de celle-ci. David a choisi de représenter un moment significatif de l’histoire de Brutus : quand celui-ci a fait mettre à mort ses deux fils Titus et Tiberius. Cette histoire à lieu après que Tarquin le Superbe ai été renversé et celui-ci cherche à reprendre le pouvoir, il est alors sur le point de lancer une attaque après s’être réfugié en Etrurie avec sa famille. Avant le lancement de l’attaque, une conspiration de sympathisants du roi déchu est découverte parmi les fils de certaines familles aristocratiques. Les deux fils de Brutus, Titus et Tiberius, en font partie. Brutus fera condamner à mort ses fils, choisissant sa patrie, plutôt que sa famille. Les licteurs (l’escorte des magistrats qui possèdent l’imperium, c’est-à-dire le pouvoir de contraindre et de punir) attachent les jeunes hommes à des poteaux, les flagellent, puis les décapitent.

C)l’amour familiale contre le devoir patriotique

Nous avons une scène admirablement composé. On a en effet le père de famille, Brutus, qui est dans la pénombre, le poing serré sur l’édit condamnant ses fils. Nous avons une opposition entre la fermeté de caractère de Brutus et la douleur expressive du groupe de femme à droite. La mère, véhémente, tend le bras vers la dépouille, tandis que les corps des deux sœurs sont alanguis, la façon de montrer leur abandon préfigure une forme de romantisme. La façon dont sont vêtus les femmes a eu un retentissement dans la mode féminine de l’époque : cheveux non poudrés, vêtements lâches dans des tissus souples, et abandon du corset. En arrière-plan, on peut apercevoir les jambes d’un des fils de Brutus, le haut du corps est caché, probablement pour éviter qu’on voit le fait qu’il ne possède plus sa tête. Ici, David préfère montrer les réactions des différents membres de la famille plutôt que les faits accomplis.

II)-Une composition montrant l’amour du patriotisme

A) Une composition original

Il s’agit d’une huile sur toile mesurant 3.23m x 4.22m. un décadrage audacieux des corps des fils ne nous laisse voir que les pieds et les mollets. En fait, les personnages qu’on voit le mieux, ce sont les femmes. Ce sont elles que désigne la perspective du carrelage et des colonnades, et surtout, ce sont elles que désigne la lumière. Nous en venons à douter du sujet. Le tableau apparaît divisé en deux parties. Dans la partie gauche, la plus étroite d’ailleurs, est entassé ce qui constitue le sujet annoncé : Brutus, ses fils, les licteurs, la statue symbolique de la cité…Mais dans la partie droite, bien plus aérée, se situerait le sujet véritable. En effet, on a une lettre de David, datant du 14 juin 1789 qui dit la chose suivante « C’est Brutus, homme et père, qui s’est privé de ses enfants et qui, retiré dans ses foyers, on lui rapporte ses deux fils pour leur donner la sépulture. Il est distrait de son chagrin, au pied de la statue de Rome, par les cris de sa femme, la peur et l’évanouissement de la plus grande fille. ». Pourtant la scène ne correspond pas vraiment aux dires de David, en effet, Brutus n’est pas distrait par son entourage : ni par les cadavres de ses fils qui ne parviennent pas à le faire se retourner, ni par les femmes auxquelles il n’accorde pas même un regard. Tout au plus a-t-il un mouvement léger de la tête, un geste suspendu du bras… Mais il reste enfermé dans sa solitude supportant tout à la fois, le poids du devoir, au sens cornélien du terme, que symbolise la statue en bronze de Rome, et le poids de ses sentiments, qu’extériorise (pour lui ?) le groupe féminin. Cependant, c’est par lui que tout advient : il a bien le rôle principal. Mais on ne peut l’atteindre d’emblée. Notre regard est projeté et le tableau est divisé en différentes parties pour les différents éléments, une partie pour Brutus à gauche, une partie pour les femmes à droite, une partie centrale pour le panier avec son ouvrage inachevé (qui est semblable à une nature morte épuré et symboliserait des choses domestiques), et une en arrière-plan pour les fils.

B) Le rôle des couleurs et de la lumière.

Les tons dans les appartements du consul sont majoritairement ocres-orangé. Brutus, le personnage principal, se trouve dans l’ombre à l’extrême gauche et est très écrasé par ce qui l’entoure. A l’autre extrémité du tableau, les femmes inconsolables baignent dans une lumière vive. On peut remarquer aussi la couleur rouge sang des sandales du fils et la couleur bleue du drapé de la vieille femme, la couleur rouge nous signalant le fait accompli (la mort atroce des deux fils) et la couleur bleu adoucissant et nous ramenant à la famille éplorée. On peut remarquer que l’œil est attiré par les femmes, car elles sont dans une partie très lumineuse. Brutus reste dans l’ombre, comme écrasé par diverses choses : son devoir envers la patrie, la perte de ses deux fils qu’il a lui-même fait exécutés. Le fait qu’il reste dans l’ombre et montre rien alors que les femmes sont très expressives en dit long, se pourrait-il que les femmes s’occupent d’exprimer à sa place ses sentiments enfouis ? ce qui pourrait expliquer le choix des lumières… pour symboliser le fait qu’il intériorise son sentiment de perte.

C) les inspirations

On peut voir que ce tableau puise beaucoup son inspiration d’autres œuvres, le plus souvent antique. Par exemple, la représentation de Brutus est basée sur un buste romain en bronze « Brutus capitolin » (qu’on considère sans preuve comme une représentation de Brutus). On peut voir d’ailleurs que beaucoup d’éléments de cette toile reprennent la fresque antique Le Sacrifice d’Iphigénie du peintre grec Timanthe. En fait on peut voir que David, pour la pose de Brutus, il s’est inspiré d’œuvres diverses, certaines datant de l’antiquité, d’autres de la Renaissance, ses pieds contracté l’un sur l’autre et la position du bras viennent sûrement de la figure d’Isaïe peint par Michel-Ange sur le plafond de la chapelle Sixtine. D’ailleurs David parle d’un rendu florentin dans sa représentation de Brutus. La pose serait également aussi inspirée du comte Ugolin de Reynold, où celui-ci, enfermé avec ses enfants et petits-enfants, songe au cannibalisme pour survivre. Il se serait aussi basé sur son entourage, il aurait intégré les meubles de style antique réalisé pour lui par l’artiste ébéniste Jacob dans son tableau. (il est d’ailleurs intéressant de constater que David c’est inspiré de d’autres œuvres parlant de père infanticides pour réaliser une œuvre parlant d’un père infanticide)

III)-Contexte de l’époque du tableau

A) Une polémique

La carrière de Jacques-Louis David est bien connue, tant du point de vue artistique que du point de vue politique, quoique ce dernier registre obscurcisse fréquemment les jugements portés sur son œuvre. Citoyen militant engagé aux côtés de la Révolution avant de devenir le peintre quasiment officiel de l’Empire, il termine sa vie en exil, à Bruxelles, proscrit, en tant que régicide, par la monarchie des Bourbons restaurée. Formé à l’école de la tradition dans un cadre institutionnel soumis déjà à de fortes critiques, l’Académie royale de peinture et de sculpture dont il sera le fossoyeur à la suite d’un discours fameux prononcé à la Convention, le 8 août 1793, le jeune David débute sa carrière en essuyant plusieurs échecs qui vont le mortifier et, à l’inverse, développeront son aptitude à saisir toutes les occasions de se faire connaître et d’asseoir sa réputation. Les licteurs sont son second tableau et a fait d’emblée polémique, très probablement à cause du thème cruel mis en scène. Et on aurait tenté d’interdire David de réexposer le tableau, alors que de base, il s’agissait d’une commande qui avait pris beaucoup de retard.

B) l’influence de l’œuvre à son époque

L’œuvre a influencé son époque de bien des manières, on peut par exemple penser aux coiffures et tenues des femmes, qui ont eu un retentissement dans la mode féminine de l’époque avec ces vêtements relâchés et ces cheveux non poudrées. Ou encore la scène finale de la représentation de la pièce de théâtre Brutus de Voltaire, le 19 novembre 1970, où les personnages se serait disposer en tableau vivant à la manière du tableau de David sous un tonnerre d’applaudissement. L’œuvre a influencé son époque de bien des manières malgré la polémique qu’elle a faite, polémique sûrement plus dût à Pierre, le directeur de l’Académie, qui n’a vu que la version inachevée du tableau avant de mourir le 15 mai (le tableau a été achevé fin août) et à critiquer plusieurs éléments principaux : le fait de mettre les 3 femmes au même plan, la composition non-pyramidale, où le personnage principal Brutus qui est mis dans l’ombre.

C) critique du tableau

Comme dit précédemment, le tableau a à la fois fait polémique à cause de sa composition (voir peut-être à cause du thème abordé), mais aussi a eu un certain succès et une influence sur son époque. Ce succès se voit au critique du tableau qui le décrit comme « noble », « sévère », et « viril ». Les critiques insistèrent également beaucoup sur la nouveauté de l’œuvre. David est apparu comme un triomphateur du Salon. En effet, au-delà de l’aspect patriotique et cruel, Il nous invite, nous, le spectateur à juger Brutus, et préfère laisser ce personnage assez ambigu. Est-il un archétype du patriotique qui fait passer sa patrie avant sa famille, où un monstre sans cœur qui détruit sa propre famille en faisant mettre à mort ses propres enfants ? Plutarque, un philosophe romain, à auparavant prêter à la fois des louanges et des critiques à Brutus et le qualifier comme un personnage tenant à la fois du dieu et de la bête. Nous avons donc en fait, une œuvre beaucoup plus profonde qu’elle en a l’air.

Pour conclure, Il s’agit d’un des tableaux les moins connus de David, la plupart d’entre nous, quand on nous évoque David, on pense immédiatement au Napoléon franchissant le cap de Saint-Bernard où aux Sabines. Pourtant, ce tableau est l’un de ses premiers et montre une très grande virtuosité, à la fois sujet de polémique, source d’inspiration pour des écrivains et des gens simples, et uns des premiers chef-d’œuvre de la peinture néo-classique. Les licteurs rapportant à Brutus les corps de ses fils est une œuvre à la fois cruelle, libre d’interprétation, et porteuse d’une réflexion complexe sur l’opposition entre l’amour patriotique et l’amour familiale qui pourrait mener à une forme d’autodestruction.

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