
Comme l’a dit l’écrivain et critique d’art Charles Baudelaire.
« Aux gens du monde, M. Ingres s’imposait par un emphatique amour de l’Antiquité et de la tradition. Aux excentriques, aux blasés, à mille esprits délicats toujours en quête de nouveautés, même de nouveautés amères, il plaisait par la bizarrerie »
L’œuvre dont nous ferons l’analyse est un tableau peinte à l’huile du peintre français Jean-Auguste-Dominique Ingres intitulé « Œdipe explique l’énigme du sphinx », il a d’abord été réalisé en 1808, et il l’a repris et modifié en 1827 où il a été présenté au Salon. Ce tableau a été légué en 1878 au musée du Louvre par la comtesse Duchâtel, il fait partie des collections du département des Peintures. En quoi cette œuvre témoigne-t-elle des talents d’Ingres en peinture ?
Nous allons d’abord présenter l’artiste, son courant, et replacer l’œuvre dans son contexte, ensuite on va étudier l’iconographie de l’œuvre, et pour finir nous allons étudier les éléments plastiques de l’œuvre.
I)Ingres et le néo-classicisme : mise en contexte
A) Parcours d’artiste de Ingres
Jean-Auguste-Dominique Ingres est né le 29 août 1780 à Montanbau en France dans une famille modeste. Son père est le peintre et sculpteur décorateur de renommée local Jean-Marie-Joseph Ingres et sa mère Anne était la fille semi-alphabétisé d’un perruquier, Son enfance est fortement marquée par les scènes de ménages de ses 2 parents et le sentiment de désespoir et d’abandon provoqué par son père, un homme infidèle qui pouvait abandonner sa famille pendant des semaines, voire des mois. Jean-Marie manifester tout de même une préférence pour Jean-Auguste, qui était son fils aîné. Ingres apprend le dessin avec son père et entre à l’académie royale à l’âge de 11 ans. Il s’installe à Paris 6 ans plus tard, il fréquente l’atelier de Jacques-Louis David et Ingres reçoit le prix de Rome en 1801 à 21 ans. Son séjour en Italie lui permet de se familiariser avec l’art de l’Antiquité et avec les fresques de Raphaël. Ingres est un peintre qui était réputé pour être peu sociable, surtout face aux critiques qui lui reprochait les déformations du corps qu’il faisait à ses nues. Ingres a vécu une période d’instabilité politique : il avait 9 ans lors du début de la révolution française et 19 ans quand celle-ci s’achève, Il voit ainsi la fin de la monarchie absolue, la monarchie constitutionnelle, la première république, la Terreur de Robespierre, le premier empire… Il aura donc vécu dans une période d’instabilité politique qui pourtant ne l’influenceront pas dans son style graphique, il continue à faire des peintures de style néo-classique, jugé archaïque où grotesque par ses contemporains, mais qui marqueront l’histoire de l’art durablement.
B) Mise en contexte
Le travail d’Ingres n’est pas toujours bien accueilli, ses portraits et ses dessins sont parfois jugé archaïques à cause de leurs modelés classiques. Il est aussi jugé pour les libertés qu’il prend avec la représentation de l’anatomie, comme par exemple avec la grande odalisque, où le modèle à un dos particulièrement long et dont la jambe gauche forme un angle peu naturel. Il sera d’ailleurs en colère lors de ses premiers mois en Italie et il réalisera une esquisse inachevée nommé « Hercule et les pygmées » qui d’après certains historiens d’arts serait une allégorie de « Ingres et ses critiques ». C’est durant cette période de persévérance et de frustration qu’il réalisera « Œdipe explique l’énigme du sphinx ». Il s’agit d’un tableau classique, appartenant donc au courant néo-classique, on a un personnage légendaire présenté sous la forme d’un nu masculin en train d’exécuter une entreprise héroïque. Comme la plupart des tableaux d’Ingres, malgré son esthétique classique, il reprend des thèmes peu communs dans le domaine artistiques, comme par exemple des thèmes relevant du fantastique.
C) Ingres et Delacroix : comparaison
Ingres est considéré comme le chef de file du mouvement néo-classique. Il est également considéré par le public comme le rival de Delacroix, le chef de file du mouvement romantique. Tous deux ont un intérêt commun pour certains thèmes, mais chacun à sa manière de peindre ces thèmes. En réalité l’opposition entre Ingres et Delacroix repose en grande partie sur de la caricature. Ingres s’est lui-même affirmé comme le champion du classicisme, le revendiquant principalement dans ces sujets historiques, et méprisant la peinture nouvelle. On peut voir la différence entre ces deux peintres à travers deux peintures appartenant au thème de l’orientalisme : La Baigneuse de Valpinçon d’Ingres et Femmes d’Alger dans leur appartement de Delacroix, pour la Baigneuse de Valpinçon. Il faut savoir qu’Ingres à explorer très tôt le thème de la femme aux bains. Avec La Baigneuse de Valpinçon, il réalise dès 1808 le portrait d’une femme à turban, présentée nue et de dos, dans une ambiance de harem. Elle constitua l’un des « envois de Rome » à Paris d’Ingres en 1808 avec « Œdipe explique l’énigme du sphinx » fait pour montrer ses progrès en peinture, lorsque celui-ci était pensionnaire à l’Académie de France. L’artiste a réaliser un tableau aux lignes harmonieuses et à la lumière délicate. Nue, de dos, la sandale rouge délacée, elle représente l’unique sujet du tableau, encadrée par des tentures pour mieux mettre en valeur sa ligne serpentine. Delacroix lui, dans Femmes d’Alger dans leur appartement, nous peint l’espace clos et confiné d’un harem algérois, trois femmes sont assises. Elles portent de riches tuniques, par-dessus des pantalons bouffants, des sarouels, qui laissent voir leurs mollets nus. Elles sont parées d’une abondance de précieux bijoux. À droite, une servante noire sort du champ en tournant la tête vers ses maîtresses. La pièce est dépourvue de meubles mais il en émane une impression de luxe et d’exotisme. Delacroix dépeint un univers à la fois étrange et fascinant, dont l’exotisme a une tonalité explicitement érotique. On a donc avec cette comparaison avec Delacroix, un aperçu plus large du style graphique d’Ingres, on a bien un peintre néo-classique. Mais un peintre classique qui en plus de privilégier le dessin essayer d’adapter le néo-classicisme à de nouveaux thèmes.
II) Une scène mythologique
A)La présence de la mythologie dans cette oeuvre
On a ici une scène connu de la mythologie grecque antique : Œdipe, prince de Corinthe, est en train de parler à une étrange créature mi femme mi lion avec des ailes d’aigle : le sphinx, qui tue tous ceux qui la rencontre et qui sont incapables de répondre à son énigme : qu’est-ce qui marche à quatre pattes le matin, deux à midi, et trois le soir ? Avant qu’Œdipe arrive, personne ne pouvait y répondre et personne ne connaissait la réponse. Le titre « Œdipe explique l’énigme du sphinx », nous indique que nous sommes au moment où Œdipe donne la réponse à l’énigme et l’explication de cette dite réponse. La ville que nous voyons au fond du tableau doit être la ville de Thèbes qu’Œdipe cherchait à rejoindre quand il a rencontré le sphinx et l’homme au fond doit être un simple spectateur de la scène, voir l’homme qui aurait indiqué à Œdipe où se trouvait le sphinx dans la légende d’origine. On a un thème classique, car relevant de la mythologie grecque. La présence du pied couleur cendré en bas à gauche ainsi que celle d’un squelette humain semble mit ici pour rappeler la dangerosité du sphinx, pour souligner le caractère bestial de la créature, voir rappeler le sort réservé à ceux qui ne répondent pas correctement à l’énigme du sphinx. Le sphinx semble écouter Œdipe et sa réponse, l’expression du sphinx semble colérique, où inquiète. Cela peut rappeler la fin de l’histoire d’Œdipe et du sphinx : Œdipe trouve la réponse à l’énigme du sphinx, et le sphinx, furieuse et humiliée, se serait suicidée en se jetant du rocher sur lequel elle trônait et se serait briser le crâne sur les rochers environnants.
B)Iconographie de l’oeuvre
On présente un Œdipe à l’air concentré semblant expliquer l’énigme au sphinx, de ses deux mains, il semble se désigner lui-même et désigner le monstre. On a un jeu de regard qui semble à sens unique : l’homme effrayé au fond regarde Œdipe, Œdipe regarde le sphinx, et le sphinx regarde le spectateur. La lumière semble utilisée ici pour renforcer une forme de contraste entre les deux personnages : toute la lumière est concentrée sur Œdipe, alors que le sphinx demeure dans la pénombre. Ce contraste est probablement utilisé pour souligner l’opposition entre Œdipe, qui représentera donc l’humanité, tandis que le sphinx représentera la bestialité. On a donc ici un tableau classique, lisse, qui donne des émotions et une psychologie à ses personnages. Le jeu des regards permet au spectateur d’entrer dans le tableau et donc de le comprendre
C) Description
Au premier plan, on a un jeune homme nu au corps musclé, il est penché en avant, le dos arrondi, le coude gauche en appui sur son genou gauche, dont le pied est posé sur une roche. Sa main droite retient un drapé rouge et deux lances pointées vers le coin bas gauche de l’image. Dans la moitié supérieure gauche et faisant face à l’homme, une créature de profil, et dont on ne voit que la moitié du corps, aux pattes de lion, à la poitrine et à la tête de femme et avec des ailes d’oiseau se tient. Elle regarde l’homme dans les yeux, et sa patte gauche est levée. Dans le coin en bas à droite, on a un homme barbu en torsion : la tête et le bassin sont dirigés vers le jeune homme au 1er plan, les épaules et les bras vers une ville esquissé au loin. Le drapé rouge qui habille l’homme barbu est en mouvement. Dans le coin en bas à gauche on a la plante d’un pied qui surgit d’une cavité sombre, un squelette humain ainsi que la signature de l’artiste «gravée» sur la roche est visible.
III) Une scène reprenant l’esthétique de l’art grec
A)Aperçu plastique
On a un environnement rocailleux avec comme couleur utiliser une dominante de bruns, avec des touches de rouge et des nuances de bleu dans le fond. Au niveau de la lumière on a un contraste important : l’homme est baigné d’une lumière vive, alors que le haut et l’arrière-plan gauche sont sombres (la tête de la créature et dans la pénombre, son corps dans la lumière). Nous avons une peinture possédant un cadrage vertical et mesurant 189 x 144 cm. La posture de l’homme au premier plan dessine un demi-cercle dans lequel son corps s’inscrit. La lance que celui-ci tient construit une oblique forte, contre balancée par celle suggérée par l’avant-bras gauche de l’homme. Le tout dessine des formes géométriques harmonieuses. Le jeu des regards entre les personnages au premier plan permet au spectateur d’entrer dans le tableau. On a un contraste important dans le rôle de la lumière : L’homme concentre la grande partie de la lumière, ce qui pousse le spectateur à tourner son regard vers celui-ci en premier lieu.
B)un tableau élaboré
Il faut savoir que la version du tableau peint en 1808 était beaucoup moins élaboré que celle qui est aujourd’hui exposé au musée du Louvre. Ingres à améliorer son tableau lors de son retour à Paris en 1824, il l’a agrandit sur 3 côtés et à rajouter la ville, l’homme effrayé, une partie du corps du sphinx, et le pied de couleur cendré en bas à gauche du tableau. Œdipe reste tout de même l’élément central de la toile. Dans ce tableau, Ingres démontre toute sa connaissance de l’anatomie humaine à travers les personnages d’Œdipe. La pose penchée du personnage évoque les modèles de la Grèce antique. Mais en observant bien le personnage D’Œdipe, on peut voir qu’Ingres a fortement souligné les contours, atténuant ainsi le modelé de la figure. On obtient alors un effet aplati qui supprime l’impression de masse et de volume du personnage. Cette impression de plat montre qu’Ingres à renoncer au style de son maître, le peintre Jacques-Louis David, qui était réputé pour avoir créé des peintures avec des personnages doté de masse et de volume rappelant les sculptures antiques.
Pour conclure, cette œuvre du peintre Ingres a été réalisée dans un but précis : montrer qu’Ingres sait parfaitement reproduire le modèle antique. Il prouve aussi dans cette œuvre sa maîtrise de l’anatomie humaine, ainsi que celle de la reproduction des émotions, et il donne une psychologie à ses personnages. Malgré son effet aplati, on a ici un chef d’œuvre de la peinture néo-classique, montrant très tôt les talents d’Ingres pour les arts plastiques. Il s’agit d’une réponse à la critique, ainsi qu’une œuvre marquant les débuts d’Ingres dans la peinture.